L’un des objectifs à l’origine de la création de la Fondation suisse pour le HCR, Switzerland for UNHCR, est de sensibiliser la population suisse en faveur des personnes déracinées. Il y a quelques mois, la Fondation a fêté sa première année d’existence, et même si le cœur n’est pas vraiment à célébrer, l’une des façons de marquer cette date a été de lancer une série d’articles visant à mettre en avant les acteurs locaux qui s’engagent en faveur des réfugiés : Les Engagés. Pour notre sixième article nous sommes partis à la rencontre de Sarah Hoibak et Gaayathri Sathasivam, co-fondatrice et cheffe cuisinière de Cuisine Lab, entreprise sociale qui fournit des services de restauration et de traiteur et emploie des chefs réfugiés passionnés. Le but de l’association ? Assister les réfugiés à développer leurs compétences professionnelles et faciliter leur intégration dans la communauté à travers la création d’une plateforme sociale-culinaire.
Cuisine Lab
Pour commencer, présentez-nous Cuisine Lab.
Sarah Hoibak : Cuisine Lab est une plateforme d'intégration sociale et économique qui se centre autour de l'utilisation de la nourriture et des arts culinaires pour rapprocher les réfugiés et les demandeurs d'asile du canton de Genève de la communauté locale. Des formations aux arts culinaires et des événements sociaux permettent non seulement aux réfugiés et aux demandeurs d’asile d’échanger avec la population genevoise, mais aussi d'apprendre des compétences qui leur permettront plus tard de trouver des opportunités d'emploi, et de s’autonomiser à travers une source de revenus.
Lorsque nous avons commencé le projet de Cuisine Lab il y a 5 ans, c'était quelque temps après l'apogée de la crise en Syrie, une période pendant laquelle des milliers de réfugiés ont été forcés de fuir vers l'Europe. Nous avons vraiment ressenti le besoin de faire quelque chose, ici, à Genève, pour les réfugiés et les demandeurs d’asile. Dan Stein, co-fondateur de Cuisine Lab, et moi-même travaillons ou avons travaillé dans le domaine des organisations internationales et avons l'habitude de voir les moyens nécessaires pour les opérations à l'étranger, mais ici, nous avons vraiment vu une nécessité d'agir au niveau local.
Comment approchez-vous vos projets ?
SH : Cuisine Lab a été créé en premier lieu pour bénéficier aux cuisinières et cuisiniers qui font vivre ce projet. Nous n’avons donc jamais eu d’organisation verticale, dans laquelle une partie des personnes essaye par exemple d’imposer sa vision des choses. Au contraire, nous avons dès nos débuts toujours privilégié la discussion.
L’organisation s’est ainsi développée de manière organique ; nous avions l'intention d’être une plateforme sociale, mais n'avions pas encore de projets clairs quant à nos activités, par exemple le service de traiteur. Nous voulions fournir une plateforme pour que les réfugiés et les demandeurs d'asile puissent rencontrer des gens et sortir de leur environnement habituel.
La pandémie de la COVID-19 nous ayant forcé de faire une longue pause, celle-ci a été l’occasion de s’asseoir ensemble et de réfléchir à la direction que nous souhaitions prendre pour cette organisation. Au fil de nos discussions, une volonté a émergé de manière constante ; celle d’avoir un restaurant, un lieu permanent permettant plus d’autonomie. Les événements et ateliers sont des occasions formidables de rencontrer des personnes et de partager, mais ils n’offrent pas la même stabilité que d’avoir un lieu permanent. Nous avons aussi eu la chance de travailler sur ce projet avec une équipe du programme de l’Executive MBA de l’Université de Genève, qui a par la suite gagné le prix du meilleur projet lors d’un concours interne.
Ainsi, notre restaurant AGORA va bientôt ouvrir ses portes dans la Cité Internationale du Grand Morillon, permettant à nos chefs de profiter d’un cadre plus stable, de pousser leur savoir-faire et de partager davantage leur cuisine. En plus, des cours de langue et des formations professionnelles seront dispensés pour les réfugiés y travaillant, avec pour but de déboucher sur l’obtention d’une Attestation Fédérale Professionnelle (AFP) en Cuisine. Ce développement s’inscrit dans la volonté d’intégration sociale et économique que porte le projet Cuisine Lab depuis le début.
Il vous est encore possible de contribuer au financement de notre restaurant AGORA, n’hésitez pas à nous soutenir dans cette démarche !
Pourquoi cette forme d’engagement ?
SH : Notre point de départ a toujours été la cuisine ; la nourriture et les repas ont toujours et partout été synonymes de partage et de rassemblement. Dans ce sens, un repas ne nourrit pas que d’un point de vue alimentaire, mais aussi socialement. Il s’agit d’une plateforme neutre autour de laquelle tout le monde se reconnait, tout le monde mange et partage le pain avec quelqu’un d’autre. Ce qui est magnifique, c’est qu’il y a une telle richesse, une telle diversité dans la cuisine dans le monde que les choses à découvrir et à partager sont inépuisables. En fin de compte, nous sommes tous humains et manger est un de ces actes profondément humain autour duquel se rassembler.
Gaayathri Sathasivam : Les autres cuisiniers avec qui je travaille sont des personnes avec qui, si ce n’était pas grâce à Cuisine Lab, je n’aurais probablement jamais eu de contact. Mais à travers cette plateforme, j’ai beaucoup appris d’eux culinairement, comme je pense aussi leur avoir appris ! Par exemple, l’un des cuisiniers qui est un réfugié syrien raffole de mes desserts sri lankais, et moi de ses baklavas. Nous faisons donc régulièrement des échanges de bons procédés, c’est pour vous montrer à quel point la nourriture rassemble ! Il s’agit d’un bagage que nous avons tous emportés avec nous, de quelque chose qui nous lie à notre pays d’origine, mais qui nous permet aussi de lier de nouveaux liens.
Un souvenir particulier de cet engagement ?
GS : J’ai rejoint Cuisine Lab en 2017, un peu par hasard, après avoir rencontré Dan, l’un des fondateurs de l’association. Il était de passage chez moi, et en sentant l’odeur de ce qui était sur le feu, m’a tout de suite demandé s’il pouvait goûter ce que je cuisinais. Ma cuisine l’a convaincu, et il m’a ensuite demandé si je pouvais rejoindre Cuisine Lab à l’occasion du Refugee Food Festival. C’est comme ça que d’un jour à l’autre, je suis passé de ma petite cuisine à préparer des plats pour ma famille, à préparer des repas pour plus de 700 personnes, c’était incroyable !
Durant ces 4 années au sein de l’organisation, j’ai vraiment eu la chance de rencontrer plein de monde et découvrir de nouvelles choses. Entre des diners que nous avons préparés pour des sommets internationaux, des ambassades, ou encore des ateliers de cuisine pour les enfants à l’école internationale de Genève, tout a été extrêmement enrichissant.
Au-delà des expériences vécues, Cuisine Lab est devenu pour moi une véritable famille. Avant, lorsque je souffrais ou que j’étais triste, j’étais seule. Maintenant, je sais que si je tends la main, je peux compter sur quelqu’un pour la prendre, pour me réconforter – tout comme on l’attendrait d’un membre de sa propre famille. Quand quelqu’un est malade, les autres vont lui apporter à manger, lui faire les courses, ou lui tenir compagnie par exemple. Cuisine Lab ne peut donc pas se résumer uniquement à ses activités culinaires, c’est beaucoup plus que ça. Je peux dire sans hésitation que l’association a changé ma vie en m’ouvrant des portes, mais m’a aussi changé en tant qu’individu à travers toutes ces rencontres formidables.
Pourquoi s’engager ?
SH : Tout être humain est égal sur terre. Si je suis dans une position privilégiée, dans laquelle je suis en mesure d’aider d’autres personnes à avoir une vie meilleure, pourquoi ne devrais-je pas donner de mon temps ou de mes ressources dans ce but ? Je suis fondamentalement convaincue que la nourriture est un moyen de parvenir à cette fin, qu’il est possible de faciliter l’intégration sociale à travers l’art culinaire.
Pourquoi donc soutenir une cause ? Parce que nous avons la chance de pouvoir le faire. Il y a tellement de personnes dont la vie peut être rendue plus simple et agréable, et il ne s’agit pas seulement de personnes à l’autre bout de la planète, mais aussi ici, à Genève. Si vous avez l’opportunité d’avoir quelque chose à donner, pourquoi ne pas le faire ?
Quel conseil donneriez-vous à ceux qui souhaitent s’engager ?
SH : La question de départ devrait être : où y a-t-il un problème ? C’est ainsi que Cuisine Lab a été fondé. Il ne s’agissait pas de donner une solution préétablie, mais plutôt d’identifier un problème qui n’a pas encore été identifié. Nous sommes partis du constat que de nombreuses personnes vivant dans des abris PC ne bénéficiaient pas de nombreuses possibilités de rencontrer des personnes en dehors de ce cadre, et ainsi de s’intégrer, et que nombreux d’entre eux témoignaient de la difficulté et du peu de ressources à disposition pour cuisiner. C’est à travers ce constat que nous avons, ensemble, exploré les solutions que nous pourrions proposer pour résoudre cette situation.