Les personnes forcées de fuir la guerre, la violence et la persécution se retrouvent de plus en plus souvent en première ligne de la crise climatique mondiale, ce qui les expose à une combinaison mortelle de menaces sans qu'elles disposent des fonds et du soutien nécessaires pour s'adapter.
Telle est la situation désastreuse décrite dans le nouveau rapport No Escape: On the frontline of Climate Change, Conflict and Forced Displacement, que le HCR a lancé lors de la COP29 à Bakou. Le rapport, élaboré en collaboration avec 13 organisations expertes sur la question, des institutions de recherche et des groupes de personnes réfugiées, utilise les dernières données et preuves scientifiques pour montrer les conséquences de l’intersection des chocs climatiques et des conflits, rendant les personnes qui sont déjà en danger encore plus vulnérables.
Les changements climatiques ont un impact dévastateur sur les personnes qui ont dû fuir. Cependant, Andrew Harper, conseiller spécial pour l'action climatique auprès de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, nous rappelle dans l'entretien que nous avons eu avec lui que des solutions sont à portée de main : si nous agissons maintenant, si nous agissons ensemble et si nous disposons des ressources dont nous avons besoin.
Les points à retenir du rapport :
- Sur plus de 120 millions de personnes déplacées de force dans le monde, les trois quarts vivent dans des pays fortement touchés par les changements climatiques. La moitié d'entre eux se trouvent dans des endroits touchés à la fois par des conflits et des risques climatiques graves, comme l'Éthiopie, Haïti, le Myanmar, la Somalie, le Soudan et la Syrie.
- Au cours des dix dernières années, les catastrophes liées au climat ont provoqué 220 millions de déplacements internes, ce qui équivaut à environ 60 000 déplacements par jour.
- La plupart des installations et des camps de personnes réfugiés devraient connaître deux fois plus de jours de chaleur qui sont dangereux pour la santé d'ici à 2050.
Pourtant, malgré ces statistiques alarmantes, la plupart du financement climatique—90 %—vont aux pays à revenus moyens et à fortes émissions, tandis que les États extrêmement fragiles ne reçoivent que très peu de soutien. En moyenne, ces États fragiles ne reçoivent que 2,10 dollars par personne et par an pour l'adaptation au climat, contre 161 dollars par personne dans les pays plus stables.
Pourquoi les personnes réfugiées et les personnes déplacées de force sont-elles si vulnérables aux changements climatiques ?
Les personnes réfugiées et les personnes contraintes de fuir sont souvent accueillis dans des régions où personne d'autre ne veut vivre. Les principaux camps de réfugiés sont souvent situés dans des déserts ou des régions sujettes aux inondations. Les changements climatiques exacerbent les conditions déjà difficiles auxquelles sont confrontées les personnes déplacées de force, rendant leurs conditions de vie encore plus précaires.
« Les changements climatiques intensifient les vulnérabilités des personnes qui ont besoin de protection internationale ».
Les effets des changements climatiques sont de plus en plus visibles dans les camps de réfugiés. L'accès aux ressources essentielles comme l’eau ou le bois de chauffage est de plus en plus difficile. Imaginez que vous viviez dans une tente en plastique sous une chaleur de 45 degrés et que vos enfants n'aient pas assez d’eau. C'est la réalité de nombreuses personnes qui ont été forcées de fuir ; les femmes, les enfants et les personnes âgées étant particulièrement touchés.
Mais ce n’est pas tout : les changements climatiques entravent les solutions durables. Dans certains cas, les personnes qui ont été forcées de fuir à cause d'un conflit ou de persécutions ne peuvent plus retourner chez elles, car les changements climatiques ont rendu ces zones inhabitables entre-temps.
Genre et crise climatique : comment les changements climatiques affectent-ils les femmes et les filles et quel est leur rôle dans la lutte contre ce phénomène ?
Lors d'une récente visite à la frontière entre la Somalie et le Kenya, j'ai rencontré des femmes accompagnées de leurs enfants qui avaient été déplacées à plusieurs reprises, d'abord en raison d'un conflit, puis, après une période de sécheresse prolongée, par des inondations. Après avoir été touchées par ces inondations en Somalie, elles ont marché pendant six jours à travers des zones dangereuses pour atteindre le Kenya, en quête d'espoir pour que leurs enfants aient accès à l’éducation et aux soins de santé.
Les femmes et les jeunes filles sont particulièrement exposées. Par exemple, en raison des changements climatiques, les personnes déplacées ont souvent du mal à accéder aux ressources—insuffisantes—dont elles ont besoin pour survivre. Les femmes et les jeunes filles n'ont souvent pas d'autre choix que de parcourir de longues distances pour trouver de l'eau, de la nourriture et du combustible, ce qui les expose à des violences sexuelles ou les oblige à avoir des rapports sexuels pour survivre. Elles risquent donc aussi de ne pas recevoir d'éducation, ce qui augmente le risque de mariage précoce ou forcé.
Partout où j'ai voyagé, du Kenya au Brésil, j'ai vu des femmes proposer des solutions. Nous devons veiller à leur donner les moyens d'agir et à les soutenir, et faire en sorte qu’on accorde une attention particulière aux femmes quand il est question d'adaptation climatique et de résilience accrue. Elles sont en première ligne et sont les mieux placées pour comprendre leurs besoins—et nous devons les écouter.
Qu'en est-il de l'impact des changements climatiques sur les communautés d'accueil ?
Les personnes déplacées ne sont pas les seules à subir les effets des changements climatiques, incluant phénomènes météorologiques extrêmes, cyclones et sécheresses qui dévastent les cultures et le bétail. Les communautés d'accueil, qui assurent une protection essentielle aux personnes réfugiées, sont également touchées.
« Si nous ne soutenons pas ces communautés et les pays qui accueillent les personnes réfugiées depuis des décennies, nous ne pouvons pas nous attendre à ce qu'ils continuent à offrir leur protection. »
À mesure que les températures augmentent et que les phénomènes météorologiques extrêmes deviennent plus fréquents, nous devons être mieux préparés, en utilisant les données et les preuves scientifiques dont nous disposons déjà. Il est essentiel de travailler en collaboration avec les communautés, en leur fournissant les ressources et le financement nécessaires pour construire un avenir plus résistant au climat.
Les trois piliers de l'action climatique du HCR
Le HCR dispose de 500 bureaux dans le monde, y compris dans les déserts, les jungles et les zones sujettes aux inondations, en contact direct avec les communautés concernées. Notre mandat est de fournir une protection, ce qui nécessite une collaboration avec les autorités locales.
Notre stratégie d'action climatique repose sur trois piliers clés :
- Les lois et politiques : Nous veillons à ce que la protection soit inscrite dans la législation, en travaillant en étroite collaboration avec les gouvernements et les communautés pour renforcer les lois qui répondent aux défis posés par les changements climatiques.
- Solutions opérationnelles : Au-delà des lois et des politiques, les personnes réfugiés ont besoin d'un soutien pratique : nous travaillons avec des partenaires pour garantir l'accès aux ressources et aux services—tels que l'eau, la nourriture, les énergies renouvelables, l'éducation et les soins de santé. Par exemple, nous collaborons avec les communautés pour introduire des cultures résistantes aux sécheresses.
- Réduire l'impact sur l'environnement : Nous nous efforçons de réduire notre empreinte carbone en limitant l'utilisation de générateurs et de véhicules. Nous étudions la possibilité d'utiliser des matériaux recyclés pour les articles d'aide humanitaire et nous reconsidérons notre utilisation d'emballages, afin de réduire les déchets.
Le nombre de personnes déplacées étant en augmentation depuis douze années consécutives, nous devons faire plus avec moins. Il nous faut des partenariats avec d'autres agences, des fonds climatiques et le secteur privé afin de fournir de vraies solutions aux personnes touchées par les changements climatiques.
Quels sont les prochains défis auxquels le HCR et les personnes déplacées de force sont confrontés ?
Pour identifier les défis, nous devons nous appuyer sur les données et les preuves cruciales présentées dans le rapport du HCR, No Escape: On the frontline of Climate Change, Conflict and Forced Displacements. Le HCR collabore avec des institutions universitaires pour examiner les impacts de la chaleur et de l'humidité extrêmes, afin de mieux comprendre comment les risques climatiques impacteront les déplacements dans les années à venir.
Nous savons que les défis vont s'intensifier, car les conflits et les impacts des changements climatiques mis ensemble ont des conséquences aggravantes sur les déplacements. Nous savons que des indicateurs tels que le manque de gouvernance, d'éducation et de soins de santé sont souvent précurseurs de conflits futurs. Il n'est pas difficile de prévoir où les problèmes se poseront. Nous assisterons probablement à un retrait des services publics de régions éloignées de certains États vers leurs capitales, ce qui créera un espace pour les acteurs non étatiques. Cette tendance est déjà évidente au Sahel et dans d'autres régions.
« Imaginez que vous viviez dans un désert avec seulement dix litres d'eau par jour et par personne, souvent sans ombre, confiné dans une tente en plastique et que vous soyez confronté à un avenir sans lendemain ».
En l'absence d'action et de financement immédiats, le risque d'aggravation des conflits s'accroît. Les 120 millions de personnes déplacées ont besoin de solutions urgentes—accès à l'eau, abris, moyens pour faire ses propres cultures et moyens de subsistance durables—pour survivre dans un environnement de plus en plus hostile.
Il est également important de rappeler qu'en l'absence de possibilités de retour chez soi, les déplacements forcés dureront plus longtemps. Dans certains cas, les personnes qui ont été forcées de fuir à cause d'un conflit ne pourront pas retourner chez elles une fois le conflit apaisé, car les changements climatiques auront rendu ces régions inhabitables entre-temps.
Que peut faire la Suisse pour remédier aux effets des changements climatiques sur les personnes déplacées de force ?
La Suisse peut jouer un rôle essentiel dans le soutien aux personnes réfugiées et déplacées à l'intérieur de leur propre pays touchées par les changements climatiques. Tout d'abord, il est essentiel de reconnaître l'impact des changements climatiques sur la dignité et la vulnérabilité de ces populations. La Suisse a également la capacité de traduire son héritage humanitaire en actions significatives.
Pour créer un véritable changement, la Suisse devrait s'appuyer sur ses nombreuses agences humanitaires et fournir à la fois un soutien technique et un financement. S'il existe des solutions claires pour relever les défis climatiques, un soutien financier reste indispensable pour les mettre en œuvre efficacement.
Les événements climatiques extrêmes devenant de plus en plus fréquents, le besoin d'assistance immédiate augmente. En Syrie, par exemple, de nombreuses personnes déplacées internes, qui vivent dans des abris de fortune, seront confrontées à des conditions difficiles cet hiver ; en Afghanistan, les personnes déplacées sont également menacées par la baisse des températures. Il est important que le public suisse comprenne les réalités du déplacement et sache qu’il peut aider.
En sensibilisant la population, en plaidant pour un financement et en soutenant des initiatives locales et internationales, la population suisse peut contribuer de manière significative à l'amélioration des conditions de vie des personnes touchées par les changements climatiques. Ensemble, nous pouvons faire une différence tangible pour les communautés vulnérables.
Le message d'Andrew Harper :
Je remercie chaleureusement la Suisse pour son soutien constant aux populations déplacées affectées par les changements climatiques. Cependant, l'ampleur des besoins reste immense et l'aide actuelle n'est pas suffisante pour relever ces défis.
Nous avons besoin de toute urgence d'un financement durable et d'un soutien continu pour faire face à la situation critique dans laquelle se trouvent les personnes réfugiées. Il ne s'agit pas d'un effort à court terme, mais d'un engagement à long terme. Nous invitons la population suisse à nous rejoindre dans ce partenariat vital. Vos contributions peuvent faire une différence significative dans la vie de ceux qui souffrent.
« Le moment est venu d'agir. En faisant un don, vous pouvez contribuer à fournir des ressources essentielles et un soutien à ceux et celles qui en ont désespérément besoin. »
Ensemble, nous pouvons créer un avenir meilleur pour les communautés déplacées et garantir leur dignité et leur résilience face aux changements climatiques. Nous vous remercions de votre soutien.