mar 21/12/2021 - 18:00

L’un des objectifs à l’origine de la création de la Fondation suisse pour le HCR, Switzerland for UNHCR, est de sensibiliser la population suisse à la question des réfugiés. Il y a quelques mois, la Fondation a fêté sa première année d’existence, et même si le cœur n’était pas vraiment à célébrer, l’une des façons de marquer cette date a été de lancer une série d’articles visant à mettre en avant les acteurs locaux qui s’engagent en faveur des réfugiés : Les Engagés. Pour notre huitième article, nous sommes partis à la rencontre de Marianne Roche et de Guillaume Boyer, tous deux bénévoles en charge du développement du programme d’Alter Start Food à Genève. Alter Start Food est une entreprise sociale qui forme des réfugiés et personnes issues de l’asile en Suisse à travers le développement d’un projet culinaire, avec pour but que ceux-ci puissent lancer leur propre service de traiteur ou de restauration.

Alter Start Food

Pour commencer, présentez-nous Alter Start Food.

Marianne Roche : Alter Start est un programme lancé en 2017 en Suisse par la fondation IFPD (active auprès des plus précarisés depuis plus de 20 ans). Alter Start est un incubateur social qui accompagne les personnes issues de la migration à monter leur petite entreprise dans le canton de Vaud et à Genève. Alter Start Food soutient en particulier celles et ceux qui ont pour but de s’installer en tant que traiteurs, ou restaurateurs. Ce programme spécifique met à disposition de ses bénéficiaires une cuisine professionnelle pour la confection des repas et un chef professionnel de l’EHL pour les faire monter en compétence.

Guillaume Boyer : La fondation IFPD soutient des projets entrepreneuriaux en Inde, Népal et au Brésil. La directrice s’est aussi aperçue de la difficulté pour beaucoup d’entrepreneurs issus de la migration de lancer leur projet ici, en Suisse, et qu’un soutien était nécessaire. Le projet Alter Start a été lancé à Lausanne d’abord puis à Genève. L’entreprise sociale Alter Start Food vend aujourd’hui 250-300 repas par semaine, ce qui est un succès. Le projet est en cours de déploiement à Genève.

Comment approchez-vous vos projets ?

GB : Nos deux partenaires clefs l’Hospice Général et l’EVAM nous aident à identifier des bénéficiaires qui ont développé une compétence dans leur pays d’origine et souhaitent la transformer en un produit ou service en Suisse. Ces deux partenaires les accompagnent également dans leur apprentissage de la langue, ainsi que dans la définition de leur projet. Quand une personne correspond au profil recherché, elle est mise en contact avec Alter Start Food pour bénéficier d’un coaching et d’une formation.

Mais toute personne avec un projet ne vient pas directement chez Alter Start ou Alter Start Food. Nos partenaires comme l’Hospice Général sont en contact direct avec les porteurs de projets, et les redirigent ensuite chez l’organisation la plus à même de mener à terme le projet en question. Cela dépend souvent du niveau de langue, de compétences, ou encore de facteurs géographiques. Il existe donc un maillage d’associations œuvrant au final toutes pour le même but : aider les personnes issues de l’asile à s’intégrer et à développer leurs projets.

La cuisine d'Alter Start Food est le lieu de préparation des différents plats mais aussi un lieu de rencontre. ©Alter Start Food
La cuisine d'Alter Start Food est le lieu de préparation des différents plats mais aussi un lieu de rencontre. ©Alter Start Food
Pourquoi cette forme d’engagement ?

GB : Nos porteurs de projets étaient dans leurs pays interprètes, cordonniers, architectes, artistes peintre, ou encore photographes. La plupart d’entre eux n’étaient pas dans le domaine gastronomique et culinaire. Quand ils sont arrivés en Suisse, ils se sont aperçus que leurs diplômes et compétences n’étaient que rarement reconnus. La plupart d’entre eux savaient cuisiner, mais ce n’était pas leur moyen de subsistance. Cette compétence a ensuite été approfondie pour renforcer et solidifier non seulement la qualité de leur recette, mais aussi améliorer leurs compétences de chefs, et adapter leurs menus et leurs offres au marché Suisse.

MR : Évidemment la cuisine créée aussi des liens. Il s’agit donc non seulement d’une manière de devenir financièrement plus autonome, mais aussi d’une porte à l’intégration.

Pourquoi s’engager ?

GB : Sur le plan personnel, ayant fait de l’entrepreneuriat moi-même, notamment au Sénégal dans une région propice à la migration, ce croisement d’expériences m’a naturellement amené à ce projet. De l’autre côté, il y a aussi la motivation qui anime nos participants. La plupart des réfugiés et requérants d’asile n’ont qu’un souhait : sortir de la dépendance à l’assistance sociale. Celles et ceux avec qui nous travaillons ont donc une opportunité d’être rémunérés, et présente donc l’occasion d’une activité lucrative qui remplace peu à peu l’assistance sociale. Au-delà de ça, il s’agit d’une fierté, d’une certaine liberté regagnée que de sortir de cette structure. Il s’agit d’un cercle vertueux aussi bien pour nos porteurs de projets que pour l’Hospice Général que de les voir devenir plus autonomes.

MR : L’entreprenariat social est un environnement extrêmement dynamique et opérationnel, mais qui contient aussi une part de rêve. On souhaite évidemment une « succès story » pour les personnes que l’on suit, de voir leurs entreprises fleurir. Mais en fin de compte, rien que le processus est déjà une expérience formidable. Les porteurs et porteuses de projets nous ouvrent énormément d’horizons, et une multiplicité d’expériences humaines.

C'est au centre d'hébergements collectifs Rigot que se trouvent les cuisines d'Alter Start Food à Genève. ©Alter Start Food
C'est au centre d'hébergements collectifs Rigot que se trouvent les cuisines d'Alter Start Food à Genève. ©Alter Start Food
Un souvenir particulier de votre temps avec Alter Start Food ?

GB : Il y a des hauts et des bas. Lorsqu’on suit des personnes dans leurs projets sur plusieurs mois, on se rend compte de la réalité qu’ils et elles vivent. Il y a beaucoup d’espoir, d’engouement, mais aussi des moments de désespoir, par exemple lorsqu’on se rend compte des réalités du marché suisse, par exemple du prix de l’autorisation pour un food-truck, de ce que la gestion de ce genre de projets implique.

Parfois, on va à un rendez-vous pour parler de business plan, et on finit par passer une heure à parler de ce qui les préoccupe au quotidien, de leurs enfants, de leurs parents de leurs inquiétudes ou autre chose. Ce sont vraiment des moments très humains qui vont au-delà du projet seul, il y a énormément d’humilité dans le partage de ces expériences. C’est une réelle richesse, et on en apprend tous les jours.

La réciprocité est vraiment au centre d’Alter Start Food. Avec certains de nos cuisiniers, les relations dépassent le coaching, le simple mentorat. Lorsqu’on passe du temps avec quelqu’un à éplucher des patates, à préparer des repas, on devient naturellement plus proches.

MR : Étant moi-même plus dans l’opérationnel, il y a un autre aspect qui me marque toujours, et me parait important à relever, c’est celui des bénévoles. La rémunération des bénévoles, c’est le temps passé en cuisine avec les porteuses et porteurs de projets. Il est incroyable de voir l’ambiance dans la cuisine. Nous avons la chance d’avoir un cuisinier retraité qui vient nous aider en cuisine. Certains des bénévoles ne s’y connaissent que peu en cuisine, et apprennent beaucoup. D’autres, déjà habitués, viennent pour l’aspect social : tout le monde y trouve vraiment son compte.

Les plats d'Alter Start Food permettent à ceux qui les mangent de découvrir de nouveaux horizons culinaires. ©Alter Start Food
Les plats d'Alter Start Food permettent à ceux qui les mangent de découvrir de nouveaux horizons culinaires. ©Alter Start Food
Des projets futurs ?

MR : En ce moment, notre objectif est de devenir plus durable, plus solide dans le temps. Nous souhaitons développer notre projet pour atteindre plus de clients, nous faire connaître davantage, et surtout, pour pouvoir accueillir et soutenir plus de porteuses et porteurs de projets ! Celles et ceux que nous accompagnons ici à Genève sont maintenant dans la dernière phase du développement de leur projet. Notre objectif à court terme est donc aussi d’être référencé comme un service de traiteur, pour nous donner plus de visibilité et permettre à un plus grand nombre de personnes de pouvoir profiter de nos cuisines ! 

GB : En effet, il y a peu de services de traiteurs de nourriture venant du Caucase, du Tibet, de Colombie, d’Algérie ou de Mongolie. Ce sont des produits spéciaux, que l’on ne trouve vraiment pas tous les jours et pour lesquels je pense qu’il peut y avoir un grand intérêt.

Quel conseil à ceux qui souhaiteraient s’engager, mais ne savent pas comment ?

MR : Il faut s’engager dans quelque chose que l’on aime. C’est vraiment quelque chose qui fait une grande différence. Accorder quelques heures par semaine suffit : c’est très facile. Les bénévoles sont toujours accueillis à bras ouverts dans des projets comme le nôtre, et c’est vraiment une occasion de rencontrer des gens, d’aller à leur rencontre, de se laisser surprendre.

GB : Il faut aussi être conscient qu’il n’y a aucun minimum en termes de temps à consacrer, il ne faut pas avoir peur. Une demi-journée par mois peut déjà avoir un grand impact, non seulement sur un projet, mais aussi pour la personne qui nous rejoint en tant que bénévole. Comme mentionné par Marianne, il s’agit vraiment d’une activité qui créé des liens. Il y a un côté aventure, de rencontre avec des personnes, des histoires, des parcours qui nous sortent du quotidien, nous font voyager sans devoir aller loin.