ven 20/05/2022 - 14:30

L’un des objectifs à l’origine de la création de la Fondation suisse pour le HCR, Switzerland for UNHCR, est de sensibiliser la population suisse à la question des réfugiés. Quoi de mieux pour cela que de publier une série d’articles visant à mettre en avant les différentes initiatives et acteurs locaux qui s’engagent en faveur des réfugiés et des personnes issues de l’asile ? Les Engagés sont ces personnes comme vous et moi qui ont souhaité apporter une aide concrète aux personnes forcées de fuir et arrivées en Suisse. Pour notre onzième article, nous sommes partis à la rencontre de Rocio Restrepo, Fondatrice et Directrice de l'Association découvrir.

Rocio Restrepo Fondatrice et Directrice de l'association découvrir
Rocio Restrepo Fondatrice et Directrice de l'association découvrir
1. Pouvez-vous nous présenter découvrir ? 

L'association, née en 2007, vient en aide aux femmes migrantes ou réfugiées qualifiées en les accompagnants à dépasser les obstacles propres à l'intégration, comme : la non-reconnaissance ni des diplômes ni de leur expérience, la non maitrise de la langue, le manque de réseau, entre autres.  

découvrir est une structure pensée pour les femmes, pour qu'elles se sentent (bien) accompagnées. J'en ai moi-même fait l'expérience, surmonter les obstacles est très difficile lorsque l'on est seule !

 

2. Pourquoi avoir choisi d'aider les femmes réfugiées ou migrantes qualifiées ?

Ce n'est pas un choix, mais une sorte d'impératif. En tant que femmes, nous avons des combats qui nous sont propres, comme les problématiques de sous-emploi liés à la gestion de la vie familiale et de la gestion de la vie professionnelle, la non-reconnaissance institutionnelle etc.

Lorsque je suis arrivée en Suisse, j'étais invisible ! On s'adressait à mon mari, comme si on ne me voyait pas. Cela m'a marquée, et m'a fait prendre conscience de l'importance de considérer les femmes, et la première étape est via l'accompagnement. Attention, cela ne veut pas dire que l'insertion chez les hommes n'est pas compliquée, raison pour laquelle à découvrir nous offrons aussi des prestations pour eux. Mais dans les faits, les femmes constituent 85% de nos membres. Sans doute aussi car les femmes sont plus solidaires entre-elles, plus "associatives".

ⒸClarise A Scheidegger - Association découvrir
ⒸClarise A Scheidegger - Association découvrir
3. Comment concrètement les aidez-vous à s'insérer sur le marché du travail ?

Nous avons plusieurs leviers pour les aider à dépasser les obstacles, de manière individuelle et au niveau des entreprises et organisations.

Sur le plan individuel, nous proposons un bilan initial de la situation afin d'évaluer les possibilités pour la personne de continuer ou non son métier en Suisse.

Nous faisons aussi un accompagnement 360° et concret au niveau de la reconnaissance des diplômes, du formulaire à remplir, en passant par la traduction, jusqu'au suivi de la réponse, avec la possibilité d'aider à trouver des financements au besoin. Selon la réponse, nous guidons la personne sur la base de la reconnaissance validée, ou sur une réorientation.

Pour les "profils +", soit les personnes très qualifiées, nous sommes là pour les guider au niveau de leur dossier de candidature en accord au marché de l’emploi en suisse. notre programme ProActe démarche proactive d’insertion professionnelle.

Nous donnons des outils, conseils et liens utiles pour avancer dans la construction d’un projet professionnel ici en Suisse. Des formations et  des séances de coaching pour ceux souhaitant se lancer dans un nouveau projet. 

Nous proposons aussi des cours d'anglais et de français.

Nous misons aussi beaucoup sur le réseau professionnel, primordial en Suisse. Raison pour laquelle nous collaborons avec des entreprises et organisations. Car il faut ici apprendre à développer et gérer ce réseau, ce qui, dans d'autres pays, est inné. En Suisse, c'est tout un processus, des codes, à connaitre, que nous consolidons lors de soirées réseautage que nous organisons pour des RH, des Chef-e-s d'entreprise et nos membres pour les faire se rencontrer. Un exemple de plus de l'importance de se faire se rencontrer les femmes, leur montrer qu'elles ne sont pas seules. Le mentoring s'inscrit dans cette lignée, avec de plus en plus d'entreprises qui jouent le jeu de mentor pour des femmes migrantes qualifiées.

Rocio Restrepo Fondatrice et Directrice de l'association découvrir
Nous allons donc aider les personnes à valider, compléter, ou renouveler leur expérience professionnelle, mais en étant réalistes. L'objectif étant de les connecter avec la réalité du monde du travail suisse, et leur propre potentiel.
4.  Quel constat faites-vous aujourd'hui quant aux possibilités de réinsertion qui se présentent à ces femmes ? 

Pas un constat, mais plusieurs !

  • Premier constat : Il faut entre 4 et 5 ans pour une femmes migrantes qualifiée pour trouver sa réelle place en Suisse. Rien que l'apprentissage de la langue prend au minimum 1 an, auquel il faut rajouter tout un travail de réseautage car c'est la seule chose qui fonctionne, ainsi que la reconnaissance de l'expérience ou une reconversion. Il y a beaucoup de choses à faire!
  • Deuxième constat : Au plus vite la femme se fait accompagner, au plus vite elle va s'intégrer. Et plus le temps passe, plus elle va perdre confiance, être déprimée, avec un risque d'abandon.
  • Troisième constat : face aux difficultés, voire impossibilité parfois de retrouver un emploi dans leur domaine, de plus en plus de femmes se lancent dans une reconversion et dans l'entrepreneuriat (entre 5 et 15 projets par année chez découvrir).
  • Quatrième constat : Les femmes qui participent au programme de mentorat, et lorsque le mentor met à disposition son réseau, le succès est au rdv avec 60% des participantes trouvant un emploi.
ⒸClarise A Scheidegger - Association découvrir
Il faut entre 4 et 5 ans pour une femme migrante ou réfugiée qualifiée pour trouver sa réelle place en Suisse.
5. Vous avez étendu vos activités à l'ensemble de la Suisse romande ces dernières années. Envisagez-vous la Suisse alémanique ?

C'est en projet, avec une ouverture initialement prévue en 2022 mais repoussée en raison de la guerre en Ukraine et de l'impératif d'intégration de ces populations. Nous tablons donc plutôt sur 2023, notre équipe est prête.

 

6. Un souvenir marquant à nous partager de votre histoire avec découvrir ?

Lorsque j'ai eu l'idée du projet, je me trouvais à l'Université de Genève peu de temps après mon arrivée en Suisse pour suivre une formation en psychologie. Je constate alors qu'il n'existe aucun organisme pour l'insertion des femmes et je parle de cela à un groupe d'amis. Riant, l'un d'eux me lance alors : "Comment crois-tu que toi tu vas pouvoir donner des idées aux suisses ?!". Comment moi, latina, pourrais-je imaginer proposer quelque chose de novateur à un peuple qui a des années d'avance sur nous ? En substance c'était cela.

Et bien aujourd'hui, depuis 2007, découvrir a accompagné plus de 4'000 femmes ! Et 2020, en plein Covid, fut notre meilleure année, avec 130 femmes placées car les entreprises avaient plus de disponibilité à interagir avec nous, à nous écouter. Et cela s'est concrétisé par un nombre record d'embauche.

 

7. Quels sont les prochains grands chantiers et développements de l'association découvrir ? 

Depuis 2018, nous avons vraiment commencer à collaborer avec les entreprises et organisations car ce sont eux les acteurs principaux de l'intégration. La collaboration prend plusieurs formes : l'entreprise peut venir à l'association pour parler avec les femmes, l'entreprise peut aussi ouvrir ses portes le temps d'une journée, cela peut être aussi des mentorats comme évoqué plus haut etc.

Le défi est de pouvoir flexibiliser les postes, et cela se fait dès le descriptif de l'emploi. Demander un permis C ou nationalité Européenne, plus de 5 ans d'expérience, langue maternelle française, etc., c'est discriminant car impossible dans les faits.

Il faudrait publier les postes en offrant les mêmes chances de succès à tout le monde de postuler. Nous essayons de faire comprendre cela aux entreprises, et elles réagissent bien ! 

 

8. Pourquoi s'engager et quel(s) conseil(s) donneriez-vous aux gens qui veulent s’engager mais ne savent pas comment le faire ? 

L'engagement demande du temps, et ce temps est très important pour les femmes. À titre individuel, venir parler une heure, de la vie, de la culture suisse, des codes en vigueur, de leurs métiers, beaucoup de personnes pensent que cela n'est pas utile or c'est extrêmement précieux pour nos publics, ce n'est pas banal. Le don est aussi une forme d'engagement.

En tant qu'organisation ou entreprise, organiser un évènement, faire un don, être plus flexibles (comme évoqué plus haut), sont des points très importants pour nous.

 

 9. Autre chose que vous aimeriez rajouter ?

En septembre sortira notre livre retraçant 15 parcours de femmes migrantes qualifiées. « Migrantes, qualifiées, quinze femmes en quête de reconnaissance ».

Des succès, mais aussi des échecs, pour montrer la réalité, qui induit parfois et malheureusement un gaspillage des compétences.

À titre personnel, j'ai passé 8 ans à chercher ma place, et alors même que j’ai obtenu un AUTRE titre universitaire ici, je ne l'ai pas trouvée ! Alors j'ai dû la créer.