mar 18/11/2025 - 09:21

Il y a des moments dans une carrière que l'on espère ne jamais vivre. Pourtant, Maria Stavropoulou, représentante du HCR en Jordanie, fait face à cette réalité en ce moment même : « Chaque jour, nous devons dire aux réfugiés qu'il y a très peu, et parfois rien, que nous puissions faire pour eux. »

Depuis plus de trente ans, cette juriste grecque consacre sa vie à la protection des personnes déplacées. De la Mauritanie à la Syrie, elle a observé l'évolution du monde humanitaire : la situation aujourd'hui est critique. Désormais à Amman, elle constate un fossé grandissant entre les besoins sur le terrain et les ressources disponibles. Un fossé qui contraint les personnes réfugiées à des choix impossibles.

Worod et Mustafa, réfugiés syriens en Jordanie, dans leur abri insalubre situé dans la banlieue d'Amman

Quand la précarité devient la norme

Six réfugiés sur dix en Jordanie ne parviennent plus à couvrir leurs besoins quotidiens de base. Ce chiffre cache une dure réalité : des enfants retirés de l'école pour travailler, des filles mariées trop jeunes, ou encore des familles qui s'endettent faute de meilleure option. Neuf ménages de réfugiés sur dix sont aujourd'hui endettés – auprès de leur propriétaire, des hôpitaux, de l'épicerie du coin, d'amis et de proches. Ces familles sacrifient leur avenir pour survivre un jour de plus.

La Jordanie accueille 475'000 réfugiés, majoritairement syriens, depuis plus d'une décennie maintenant. Ce n'est plus une urgence : c'est devenu une crise qui dure. Et dans les camps de Zaatari et Azraq, les caravanes – ces conteneurs métalliques reconvertis qui devaient être temporaires – ont dépassé leur durée de vie de plusieurs années. Elles fuitent, sont mal isolées et ne gardent pas la chaleur alors que le chauffage coûte si cher (et qui est si nécessaire durant les rudes mois d’hiver) et laissent entrer l’eau dès les premières pluies. Et il n'y a pas d'argent pour les remplacer. 

« Les réfugiés deviennent de plus en plus pauvres, et la plupart ne voient aucune issue à cette pauvreté », constate Maria.

Employée du HCR avec une enfant réfugiée syrienne en Jordanie

Le coût humain des restrictions budgétaires

Derrière les programmes supprimés se trouvent les vies de milliers de personnes, d’enfants, de familles. Maria se souvient d'une femme soudanaise qu’elle avait rencontrée dans un centre communautaire en Jordanie. Un lieu où les personnes réfugiées pouvaient se rassembler et reconstruire une forme de tissu social. Malgré les difficultés à subvenir aux besoins de sa famille nombreuse et de ses enfants, cette femme affichait un grand sourire et une énergie à laquelle Maria ne s’attendait pas, et qui défie toute logique dans cette situation. 

Le soutien à ces centres a dû être interrompu cette année par manque de financement. Mais les personnes réfugiées continuent de se rassembler ailleurs, maintenant ces liens vitaux. « C'est ce qui me donne de l'espoir », confie Maria. 

Pourtant, l'impact des restrictions budgétaires est bien réel : programmes de santé réduits, services de protection limités pour les victimes de violence sexuelle. L’aide juridique a été rationnée et les distances à parcourir sont plus longues pour les personnes réfugiées qui doivent renouveler des documents administratifs essentiels, car certains centres d'enregistrement du HCR ont dû fermer. Et aujourd'hui, alors que des milliers de Syriens souhaitent rentrer chez eux suite au changement politique dans leur pays, le HCR ne peut leur apporter qu'une assistance minimale.

Un retour en Syrie empli d'espoir et d'incertitude

Depuis janvier 2025, 80 % des réfugiés syriens en Jordanie affirment vouloir rentrer chez eux un jour. Pour certains, c'est déjà une réalité. Le HCR a pu aider environ 10'000 personnes à retourner en Syrie : bus affrétés, 50 kg de bagages par personne. Plus récemment, une assistance en espèces de 100 dollars par personne (pour les résidents des camps de réfugiés) leur permet d'organiser leur propre voyage, de trouver un transport moins coûteux, de rembourser des dettes, d'emporter davantage d'affaires et d'acheter de nouveaux vêtements pour célébrer leur retour. Mais cet argent leur permet aussi d'être préparés, ne sachant pas ce qu'ils trouveront une fois de retour en Syrie. 

« Vous savez comment on porte ses plus beaux habits pour un événement important ? C'est la même chose », observe Maria. 

Mais un paradoxe cruel demeure : certains sont devenus trop pauvres pour rentrer, même avec cette aide. Ils restent coincés dans un entre-deux, trop démunis pour partir, sans aucune possibilité de reconstruire un avenir. 

« Nous voudrions soutenir les réfugiés à la hauteur de leurs besoins, mais le financement n'est tout simplement pas là. » 

Maria Stavropoulou, représentante du HCR en Jordanie

Le point de bascule du système humanitaire

Plus de trente ans de travail humanitaire ont appris une chose à Maria : les conventions internationales sur les droits des réfugiés ne peuvent plus être considérées comme acquises. « Nous sommes à un point de bascule », affirme-t-elle. Un moment où ces principes fondamentaux sont remis en question.

Pourtant, elle reste convaincue : si ces conventions n'existaient pas, il serait nécessaire de les inventer aujourd'hui. Elles constituent le fondement du système international et des droits humains de chacun d'entre nous.

Le nombre de personnes déplacées a explosé au cours des trois dernières décennies – mais le financement humanitaire, lui, n'a cessé de diminuer. Une équation impossible qui pousse des agences comme le HCR à travailler dans un état de crise permanente.

Pourquoi aider les réfugiés depuis la Suisse ?

Maria Stavropoulou a un message clair pour les donateurs suisses : les personnes réfugiées qui restent près de leur pays d'origine ont de bien meilleures chances de pouvoir rentrer lorsque les conditions le permettent. Soutenir leur présence en Jordanie préserve cette possibilité de retour. Cela les empêche aussi d'emprunter des routes périlleuses vers d'autres régions, notamment vers l'Europe, par désespoir. 

« Nous devons soutenir tout ce qui peut mettre fin à ce statut de réfugié que ces personnes vivent depuis si longtemps », insiste-t-elle. 

Et puis il y a cette réalité que Maria partage avec modestie : malgré les critiques, malgré l'insuffisance de l'aide, les réfugiés lui disent en partant : « Quand ma famille et moi en avions vraiment besoin, le HCR était là pour nous. » 

Réfugié jouant de la musique dans un camp de réfugiés dans le désert

Un souvenir précieux du désert

Il y a un souvenir qui accompagne Maria Stavropoulou. C'était en Mauritanie, durant la période COVID, dans un camp en plein désert abritant près de 90'000 personnes. Malgré les masques et les précautions, ils ont organisé un concours de danse avec la communauté réfugiée.

Le camp tout entier s'est mobilisé. Chansons, danses, photos, vidéos. « L'énergie et l'espoir que cela a créé étaient inimaginables », raconte-t-elle, encore émue. Un contraste saisissant avec l'image habituelle des camps de réfugiés.

Cette scène incarne ce qui pousse encore Maria à se lever chaque matin : voir concrètement le changement que le travail humanitaire apporte dans la vie des gens. « Tout compte. Tout ce que vous faites. La façon dont vous traitez un réfugié que vous croisez dans la rue. Votre engagement en tant que bénévole. Si vous pouvez faire un don, c'est formidable. Chaque petit geste compte. »

FAQ

Combien de réfugiés le HCR aide-t-il en Jordanie ?

La Jordanie accueille environ 475'000 réfugiés, principalement syriens. Environ 20 % vivent dans les camps de Zaatari et Azraq, tandis que 80 % vivent dans des communautés urbaines et rurales.

Pourquoi les réfugiés syriens veulent-ils rentrer maintenant ?

Suite au changement politique en Syrie en décembre 2024, 80 % des réfugiés syriens en Jordanie expriment le souhait de rentrer un jour dans leur pays. 165'000 sont déjà rentrés.

Quels services le HCR fournit-il aux réfugiés ?

Le HCR coordonne les services dans les camps de réfugiés, assure une protection juridique et psychosociale, enregistre les réfugiés, délivre des documents essentiels et offre une assistance pour le retour volontaire à ceux qui le souhaitent.

Pourquoi parle-t-on de coupes budgétaires ?

Le nombre de réfugiés dans le monde a augmenté de manière exponentielle au cours des 30 dernières années, mais le financement humanitaire a considérablement diminué, créant un fossé grandissant entre les besoins et les ressources disponibles.

Comment les réfugiés sont-ils affectés par les coupes budgétaires ?

Six réfugiés sur dix ne peuvent plus couvrir leurs besoins de base en Jordanie. Les conséquences incluent l'abandon scolaire, le travail des enfants, les mariages précoces et un endettement massif des familles.