À la dernière édition du Festival du film de Zurich, nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec Petros Mastakas. Il travaille au HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, depuis 25 ans, où il occupe actuellement le poste de Responsable des solutions durables. Il a été témoin des crises qui jettent des millions de personnes sur les routes de l’exil, notamment quand il était au Darfour au Soudan entre 2004 et 2006, puis plus récemment avec le conflit actuel. Ce dernier, dit-il, est d’une brutalité inédite.
Déployé au Tchad entre septembre et décembre 2023, il a vu affluer des centaines de milliers de réfugiés venant du Soudan, fuyant une guerre qui, deux ans après son éclatement en avril 2023, se poursuit dans un silence assourdissant.
« Les atrocités sont inimaginables », confie-t-il. Son message est clair : il ne faut pas fermer les yeux sur ce qui s’y passe.

Un exode à travers le désert
À la frontière entre le Soudan et le Tchad, il n’y a ni barrières, ni postes de contrôle : seulement du sable à perte de vue. C’est ici que des familles entières, épuisées et affamées, se sont effondrées après des jours de marche dans des conditions extrêmes.
Petros Mastakas se souvient d’une mission de recherche : « Nous avons trouvé deux garçons de dix ans allongés dans le sable, en état de semi-coma causé par l’épuisement, la faim et les maladies. » Transportés en urgence dans un centre de nutrition, ils ont survécu et ont pu être réunis avec leur famille par la suite. « Mais ils ont eu de la chance. D’autres n’en ont pas. » Si personne ne les avait trouvés ce jour-là, ils n’auraient pas survécu.
Comment le HCR aide-t-il les réfugiés du Soudan ?
Les premiers à aider ces personnes déplacées, ce sont les habitants du Tchad, qui ont tendu la main aux réfugiés en provenance du Soudan. Dans un pays où les ressources sont rares, ils ont partagé le peu qu’ils avaient : un peu d’eau, un abri, un repas.
Les écoles et mosquées ont ouvert leurs portes, et les médecins locaux ont soigné les blessés et survivantes des violences sexuelles.
Face à l’ampleur de la crise, les autorités tchadiennes ont fait appel au HCR, ainsi qu’à d’autres organisations humanitaires. Ces dernières ont déployé des équipes, distribué de la nourriture, des soins médicaux et du matériel de survie.
Mais le défi reste immense. Les ressources demeurent insuffisantes et l’aide dépend entièrement des financements disponibles. Plus les contributions sont nombreuses, plus le HCR pourra étendre son assistance et sauver des vies.
À ce jour, près de 13 millions de personnes ont été déplacées par la crise, et derrière chaque chiffre se cache une histoire de violence inimaginable.

Soudan : Des violences extrêmes
Bombardements, massacres, viols : celles et ceux qui fuient le Soudan portent sur eux les stigmates d’une guerre impitoyable.
Petros explique :
« Les femmes et les filles sont violées. Les jeunes garçons sont mutilés—certains groupes armés leur coupent les doigts, persuadés qu’ils ne pourront plus porter d’armes. »
La population fuit les attaques des groupes armées et l’extrême violence. En chemin, ils font face au harcèlement, à plus de violence et à de graves violations des droits humains – ce sont des atrocités qui sont documentées. Leur souffrance est inimaginable.
Petros Mastakas n'en est pas à son premier conflit. Et pourtant... « En 25 ans de travail humanitaire, je n’ai jamais vu un tel niveau de violence sexuelle. »
On n’ose imaginer la réalité sur le terrain.
Une crise invisible : pourquoi ne parle-t-on pas du Soudan ?
Malgré l’ampleur de la crise, pourquoi si peu d'attention est accordée au Soudan ? Pourquoi une guerre aussi dévastatrice disparaît-elle des radars ?
« Nous vivons dans un monde fatigué des crises. Mais le fait qu’un conflit dure depuis des années ne signifie pas que la souffrance a cessé. »
Les millions de personnes déplacées ne méritent pas d’être oubliées. Parmi elles, des femmes qui tentent de reconstruire leur corps et leur dignité après un viol, des enfants qui luttent contre la malnutrition, des pères qui ont tout perdu.
« Imaginez partir du jour au lendemain, sans eau, sans nourriture, sans destination. Ce n’est pas un scénario lointain, c’est la réalité de millions de personnes. »
Il est important de garder à l'esprit et dans la conscience collective de la communauté internationale que ces personnes ont encore besoin d'aide.
« Mes 25 ans d'expérience m'ont appris que cela peut arriver à tout moment à n'importe qui, quel que soit le pays dans lequel nous vivons. »
Que peut faire la Suisse pour le Soudan ?
Le soutien humanitaire fait la différence dans la vie des réfugiés et des communautés hôtes. Avec davantage de fonds, le HCR pourra forer de nouveaux puits pour fournir de l’eau potable dans les camps de réfugiés, distribuer plus de rations alimentaires aux enfants, femmes et hommes vulnérables, et fournir davantage de soins médicaux aux survivants de violences.
Les gestes simples comptent.
- Se souvenir. Ne pas laisser cette crise sombrer dans l’oubli.
- Donner. Chaque contribution, même minime, peut sauver une vie.
- Sensibiliser. Partager ces récits, parler du Soudan, ne pas fermer les yeux sur cette crise.
« Gardez votre cœur ouvert pour eux. »
Les réfugiés comptent sur nous. Sur vous.
En savoir plus sur la crise au Soudan
panel de discussion au Festival du film de Zurich
(en anglais) après la projection du film Sudan – Remember Us, avec la participation de Petros Mastakas, de Hind Meddeb, directeur du film et d’el-Wathig el-Gozoli de la Sudanese Swiss Charity
